Le double jeu de Gianni Infantino
Le Suisse a été élu à la tête de la FIFA en promettant de faire le ménage dans la plus puissante organisation sportive du monde. Une fuite de documents montre qu’il n’a pas tenu parole.

1 — Téléphone avec Donald

Le 21 février 2017, le président de la FIFA, Gianni Infantino, attend un téléphone avec Donald Trump.

Une discussion tellement sensible que l’agence américaine de relations publiques Teneo lui a rédigé un mode d’emploi. “Adressez-vous au président en l’appelant Mr. President ou President Trump.” En guise d’introduction, un compliment: “J’admire la détermination et l’énergie que vous avez montrées durant les premières semaines de votre mandat”. Ensuite, une transition vers la véritable raison de l’appel: “J’aimerais profiter de cette occasion pour vous dire que les Etats-Unis sont, de mon point de vue de président de la FIFA, le meilleur endroit possible pour la Coupe du monde en 2026.”

Dans un autre e-mail, la semaine suivante, un employé de l’agence de relations publiques explique à Gianni Infantino qu’il a parlé avec une proche conseillère de Donald Trump. Et il demande que la FIFA assure au gouvernement américain qu’elle a l’intention de soutenir les Etats-Unis comme “nation favorite” pour la Coupe du monde 2026.

L'attribution de l’organisation de la Coupe du monde doit se faire de manière “juste et transparente”, selon les règles de la FIFA. Le choix revient aux 211 membres du Congrès de la FIFA et, officiellement, le président de l’organisation n’affiche aucune préférence. D’ailleurs, il affirme que le Maroc, l’autre candidat, a ses chances et qu’il s’en remet à la décision du Congrès.

A l’interne, les choses semblent différentes. Les messages de l’agence de communication montrent que le candidat favori est caressé dans le sens du poil une année avant la votation. Ces échanges laissent planer le doute sur l’attribution “juste et transparente” de l'événement footballistique le plus populaire du monde à la candidature conjointe des Etats-Unis, du Mexique et du Canada.

C’est la première règle du jeu de Gianni: tenir un double discours. L’un destiné au public et aux médias, l’autre à l’interne.

Contactée, la FIFA affirme que le processus d’attribution est “probablement le plus juste et le plus transparent” de l’histoire du sport. Le fait que son président soit en contact avec les dirigeants politiques, y compris lorsqu’ils sont candidats, serait tout à fait normal. La seule fois où Gianni Infantino aurait rencontré Donald Trump pour évoquer la Coupe du monde 2026 serait le 28 août 2018, soit après son attribution.

La FIFA ne fait pas de commentaire ni sur le contenu des e-mails ni sur les téléphones entre Infantino et l’administration Trump avant l’attribution de la Coupe du monde.

Les messages concernant la discussion avec Donald Trump sont issus de Football Leaks, une impressionnante série de documents obtenus par l’hebdomadaire allemand “Spiegel” qui l’a partagée avec le réseau de journalistes European Investigative Collaborations (EIC). En Suisse, la cellule enquête de Tamedia (éditeur du “Matin Dimanche”, “24 Heures” et de la “Tribune de Genève”) a pu les analyser. Au total, 70 millions de documents, 3,4 terabytes de données. Dont des informations issues du coeur de la FIFA: e-mails, mémos, contrats, procès-verbaux et tableaux Excel. Les journalistes ont ensuite longuement parlé avec plus d’une dizaine d’experts et d’insiders, dont plusieurs ont travaillé de longues années à la FIFA.

Depuis sa nomination, Gianni Infantino contrôle une organisation dont l’influence va bien au-delà du sport. La Coupe du monde en Russie? “Four billions viewers!” a-t-il souligné face à Donald Trump lors du rendez-vous à la Maison-Blanche. Quatre milliards de téléspectateurs.

Cette popularité lui donne accès à tout ce que la Terre compte comme hommes de pouvoir. Lorsqu’il veut un rendez-vous avec le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, il reçoit une proposition en quelques jours. Il organise un repas avec le directeur d’UBS, Sergio Ermotti, par SMS. Les parlementaires suisses s’annoncent poliment à son état-major pour demander une entrevue. Rencontrer le pape? Aucun problème. Avec le Cervin et Roger Federer, Gianni Infantino est, en tant que président de la FIFA, l’un des plus importants ambassadeurs de la Suisse.

Mohammed bin Salman, Gianni Infantino, Wladimir Putin sitzen am WM-Final 2018 in Moskau in der Loge und spielen Schere, Stein, Papier.
Feuille, caillou, ciseau: Gianni Infantino (au milieu) avec le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane et Vladimir Poutine lors de la finale de Coupe du monde 2018 à Moscou. (Photo: Action Press / Dukas)

Comment Gianni Infantino use-t-il de ce pouvoir?

Après son élection comme successeur de Sepp Blatter, le 26 février 2016 à Zurich, il a promis de redorer l’image de l'organisation et de la rendre de nouveau respectable: “Le monde entier va nous applaudir pour ce que nous allons faire de la FIFA.” Avant de s’engager pour une “tolérance zéro” en matière de corruption et de mauvaise gestion. Quant à lui-même: “Le président de la FIFA doit toujours montrer le bon exemple”. Et la fédération? Elle doit être “l’institution sportive mondiale la mieux gérée”. Gianni Infantino promet tout à tout le monde.

Gianni Infantino promet tout à tout le monde.

Les Football Leaks révèlent comment ces belles promesses étaient vaines. Officiellement, Gianni Infantino se félicite de son programme de redistribution destiné aux associations nationales (1,4 milliard de francs), il décrit à ses lieutenants ce système comme “une faillite absolue”. Vers l’extérieur, il défend l’indépendance totale des instances de surveillance de la FIFA, alors qu’il participe à leur sabordage. Il demande publiquement que le foot ne se mêle pas à la politique, mais il passe un accord hautement politique à 25 milliards. Il martèle au grand public que la FIFA dispose des règles de compliance les plus strictes du monde, mais lui-même se permet d’offrir des billets pour la Coupe du monde en Russie ou la finale de la Ligue des champions à un procureur valaisan qui lui a discrètement rendu service.

Le président Infantino apparaît comme quelqu’un qui ne tient pas les promesses qu’il fait à l’extérieur, de manière à pouvoir maintenir son pouvoir à l’interne. Et le monde du foot? Il joue le jeu de Gianni.

2 — Une “faillite absolue”

Giovanni Vincenzo Infantino est né le 23 mars 1970, à l’Hôpital de Brigue. Le garçon, que ses deux sœurs aînées appellent "Piccolo", a grandi dans une famille d’immigrés. Sa mère, Maria, tenait le Kiosque de la Gare de Brig, le père, Vincenzo, travaillait au Buffet de la Gare. C'est de lui qu'il hérite la fièvre du football. En quatrième année, le jeune garçon aurait écrit, selon le journal local “Rhonezeitung”, à propos de son métier de rêve: "Je veux devenir footballeur professionnel. Mais comme je n'ai pas beaucoup de talent pour ça, je vais devenir un avocat du football."

Le 29 février 2016, trois jours après son élection, Gianni Infantino enfile un maillot portant le numéro 9 pour un match amical avec Figo, Maldini et d’autres “légendes”. Le neuvième président élu de la FIFA proclame devant les caméras: “Le football est de retour à la FIFA et la FIFA est de retour dans le foot.”

Mais personne n’a oublié la photo du “New York Times” prise le 27 mai 2015: des employés du cinq-étoiles Baur au Lac tenant des draps pour cacher l’un des fonctionnaires de la FIFA que la police zurichoise vient d’arrêter. Depuis, le monde entier sait que des procureurs américains spécialisés dans les enquêtes sur la mafia s’intéressent à l’organisation sportive. Des pots-de-vin à hauteur de 150 millions de dollars auraient été versés pour l'attribution de Coupes du monde. Au total, 41 fonctionnaires et responsables du marketing sont dans le viseur des Etats-Unis. Vingt-quatre d’entre eux ont été reconnus coupables, plusieurs sont en prison.

La FIFA est une simple association, au sens de l’article 60 du Code civil suisse. Elle a été créée pour chapeauter les règles du jeu, organiser la Coupe du monde et partager les revenus pour que des terrains de foot puissent être construits à Bamako, des arbitres instruits à Beyrouth ou des entraîneurs juniors formés à Berne. Pourtant, des inconnus sprayent “FUCK FIFA” sur la façade du Musée de la FIFA à Zurich. Les sponsors se retirent et “Fifagate” devient une page Wikipédia à part entière.

Que fait-on lorsque l’on est à la tête d’une organisation aussi décriée?

Gianni Infantino devait parvenir à faire deux choses: redorer l’image catastrophique de la FIFA et satisfaire la communauté du foot pour qu’elle le réélise. Les prochaines élections ont lieu en juin 2019 et Gianni Infantino est déjà candidat.

La FIFA, dans une prise de position, présente le bilan de son président sous un jour très positif: “brique après brique”, l’organisation a été reconstruite, le football féminin a été promu, la Russie a accueilli l’une des plus belles Coupes du monde de l’histoire, “malgré des reportages biaisés, l’hystérie et l’alarmisme”, écrit la FIFA. Les finances se portent bien aussi.

Et rien n’est plus important: “L’argent de la FIFA est votre argent. Ce n’est pas l’argent du président de la FIFA”, s’était exclamé le candidat Gianni Infantino lors d’un discours de campagne. Applaudissements spontanés des délégués. Gianni Infantino veut redistribuer 1,4 milliard de dollars aux 211 associations nationales entre 2015 et 2018. Beaucoup plus que sous l’ère Blatter.

Le 27 février 2017, une année après ce discours, le président se trouve sur le tarmac de l’aéroport international d’Accra, la capitale du Ghana. Il s’agit d’une étape dans son tour d’Afrique sur dix jours. Ce continent pèse 56 voix à l’assemblée de la FIFA.

Gianni Infantino ne vient pas les mains vides. “Il y a beaucoup de gens, surtout dans notre partie du monde, qui sont forts pour les discours. Moi, je veux agir”, dit-il au président du Ghana. La FIFA de Blatter versait 27 millions de dollars à l’Afrique. La sienne veut injecter 94 millions. “Nous ne faisons pas ça pour l’image. Nous le faisons parce que c’est bon pour le foot.” La caméra enregistre chacun de ses mots.

Ce programme de redistribution a un nom: “Forward”. Ne pas regarder derrière: le passé ne doit pas servir d’exemple. La vieille FIFA a souvent dépensé l’argent “sans contrôle et pour des raisons politiques”, nous a écrit la nouvelle FIFA. Cela ne serait plus possible aujourd’hui grâce à une surveillance bien meilleure, notamment parce que le personnel a été massivement renforcé. Aujourd’hui, la FIFA pourrait à la fois superviser davantage de projets et mieux les contrôler.

Le programme est “sous contrôle” et “suit son cours”, peut-on lire dans le rapport financier 2017 de la FIFA. A l’interne par contre, cela semble très différent. Les mots les plus durs viennent de Gianni Infantino lui-même. Le paiement des fonds du programme “Forward” serait une “faillite absolue”, écrit le président dans un e-mail à la secrétaire générale, Fatma Samoura, en juillet 2017. Raison de cette faillite: le partage des millions est trop lent. En cause: la bureaucratie. Une demande de fonds conduit à “des questions sans fin”, de “gros retard” de la part d’associations nationales “frustrées”, écrit une responsable de la division dans un e-mail.

Gianni Infantino fait pression pour que les paiements se fassent plus rapidement. Il est un homme d’action, davantage que de parole.

La pression ne reste pas sans effet, l’argent circule. En même temps, des effets secondaires apparaissent, comme le révèlent les documents de Football Leaks: à l’automne 2017, la division ”Développement” se met à verser de l’argent, sans respecter les règles qui avaient été fixées. Elle transfère des sommes forfaitaires à des associations nationales, sans savoir à quoi cet argent servira. Dans un mémo, les chefs des divisions juridique, compliance et finances relèvent que cela va à l’encontre du règlement du programme “Forward”. Selon des documents internes, la Fédération de Macao a par exemple reçu, fin novembre 2017, plus d’un demi-million de dollars censé couvrir frais de voyages dont certains n'avaient pas encore eu lieu. Au total, 8,5 millions de dollars de telles avances sur frais ont ainsi été versés, selon le mémo.

La FIFA dément: “Tous les paiements étaient conformes aux règles et ont été audités par des professionnels.” Les contrôles ne sont pas complètement absents: une liste confidentielle datée du début de cette année indique que les versements vers 38 associations nationales ont été limités en raison du manque de documents, de sanctions internationales ou de soupçon de corruption. Mais la pression de Gianni Infantino divise. Un insider spécialisé dans les questions de gouvernance se montre très critique: “La répartition de ces millions est actuellement la plus grande faiblesse de la FIFA. Personne ne peut exclure que des sommes colossales ne soient détournées pour des activités criminelles.”

En février 2018, un proche conseiller de Gianni Infantino tire la sonnette d’alarme. Kjetil Siem a reçu le mandat d’écrire un rapport sans concession sur la FIFA à destination du président. Sur la division chargée de répartir l’argent de “Forward”, le Norvégien écrit: “Le risque de dommages est inquiétant au vu de la manière dont la division fonctionne et dont elle verse les fonds du programme “Forward”. Au lieu de payer en fonction des dépenses et des projets, elle fait des paiements en avance.” Puis: “La division (...) est perçue comme chaotique, avec peu de connaissances et en conflit avec d'autres divisions, sans leadership dont on pourrait être fier ou auquel on pourrait adhérer.” Enfin: “La FIFA en souffre. Si FIFA en souffre, son président en souffre.”

La fédération affirme que ces commentaires sont “injustes” et “infondés”. Kjetil Siem aurait exprimé dans son mémo uniquement un “point de vue personnel”.

Un insider partage toutefois le point de vue du Norvégien. Il voit le conflit autour de “Forward” comme le symptôme d’un problème plus important: “C’est le système de Gianni. Placer des gens dans des positions inattaquables, apparemment idéales pour une nouvelle FIFA, mais qui lui sont redevables et donc faciles à influencer. Gianni garde des gens qui ne font qu'acquiescer. C'est devenu un climat de peur et de silence.”

Les “commérages de bureau” ne méritent pas de réponse sérieuse, rétorque la FIFA.

Plusieurs autres sources corroborent ce constat. Malgré son talent pour les langues (il parle arabe, allemand, anglais, français, italien et espagnol), il peine à nouer le contact avec ses employés. Dans les couloirs, il dit rarement bonjour. Des employés qui le tutoyaient de longue date se sont fait rappeler à l’ordre: ils doivent maintenant le vousoyer. Sepp Blatter avait le don de donner le sentiment à chacun, jusqu’à la personne chargée de nettoyer les bureaux, qu’il était important pour l’avenir du football, raconte un insider. “Gianni, lui, dans l’espace réservé aux fumeurs, sort une cigarette et fixe son smartphone.”

3 — “Superamiga”

Pendant que le président sillonne le monde, à Zurich ses lieutenants s’occupent des vestiges de l’ancien régime. Comme les paiements de bienfaisance de Sepp Blatter, par exemple. 40’000 francs à une association culturelle zurichoise, 6000 francs au Rotary Club de Dübendorf, 120’000 francs pour chaque édition du gala du Zoo de Zurich. La FIFA doit “réviser fondamentalement” les oeuvres de charité qu’elle finance, indique un mémo.

Sous le nom de “Project Eos” - la déesse grecque de l’aurore - se tiennent chaque semaine des conférences avec des avocats du cabinet américain Quinn Emanuel et des auditeurs de Deloitte. Ils parcourent les archives et les serveurs de messagerie à la recherche de cadeaux empoisonnés qui pourraient poser problème d’un point de vue juridique. Les avocats tombent sur un système de distribution de bonus à 79 millions profitant à des proches de Blatter. D’autres versements surprennent. L’organisation verse une sorte de rente de 3000 francs par mois à la veuve d’un entraîneur suisse et ami de Sepp Blatter décédé en 2007.

Un autre groupe de spécialistes tente d'assurer l'avenir de la FIFA en exhumant le passé: la Commission d’éthique. Les enquêteurs peuvent amender et exclure à vie n’importe quel officiel du foot qui aurait reçu une enveloppe d’argent ou des cadeaux. Un fonctionnaire banni n’a même plus le droit d’entraîner une équipe de juniors.

L’enquêteur suisse Cornel Borbély et le juge allemand Hans-Joachim Eckert, tous deux nommés sous l’ère Blatter, ont banni des dizaines de fonctionnaires après les arrestations à l’Hôtel Baur au Lac, à Zurich. Ce sont eux aussi qui ont suspendu Sepp Blatter et le président de l’UEFA, Michel Platini, pour un versement douteux de 2 millions.

Ce faisant, ils ont perturbé la succession. Michel Platini, qui était pressenti pour remplacer Sepp Blatter, n’a pas pu se présenter aux élections suite à cette mise à l’écart. Son secrétaire général, un certain Gianni Infantino, s’est alors présenté et a remporté l’élection. En clair: le nouveau président doit en partie son poste aux gardiens de l’éthique. Mais Cornel Borbély, un ancien procureur, va bientôt s’intéresser à Gianni Infantino, notamment pour ses vols en jet privé. Les enquêteurs commencent à déranger.

La tête de la FIFA, autour de Gianni Infantino, a alors pris, au printemps 2017, une importante décision, comme le montrent les Football Leaks. Le 6 avril, président de la Fédération colombienne, Ramon Jesurun écrit qu’il aurait quelqu’un. Une “candidate de luxe”, “passionnée de foot” et une “superamiga”, une très grande amie. L’e-mail est adressé à Alejandro Dominguez, le chef de la Confédération sud-américaine, la CONMEBOL. Ce dernier transfère le message à Gianni Infantino.

La “candidate de luxe” s’appelle Maria Claudia Rojas. Cette avocate colombienne a présidé le plus haut tribunal administratif du pays. Elle est spécialisée dans la bioéthique et le droit fiscal international. Elle doit devenir l’enquêtrice en chef, à la place du Suisse Cornel Borbély.

Gianni Infantino soutient la candidature et le Congrès de la FIFA l’élit le 11 mai 2017 à Bahreïn. Cornel Borbély apprend par SMS, alors qu’il est en route pour le Moyen-Orient, que lui et Hans-Joachim Eckert allaient perdre leur poste. Officiellement, il s’agit diminuer le poids des Européens dans les instances de la FIFA. “Cela ne fait aucun sens, affirme aujourd’hui l‘ancien juge Hans-Joachim Eckert. Nous avons été écartés parce que nous avons enquêté de manière indépendante - y compris sur monsieur Infantino.”

Contactée, la FIFA rappelle que par le passé quatre des cinq commissions indépendantes ont été dirigées par des Allemands ou des Suisses, ce qui ne reflète pas la diversité d’une fédération mondiale. Par ailleurs, il n’existait pas de processus d’élection. María Claudia Rojas serait “très bien qualifiée” pour son poste. Quant à Cornel Borbély et Hans-Joachim Eckert, leurs mandats arrivaient à leur terme en 2017 et leur remplacement n’aurait pas été “une grande surprise”.

Ce changement, qui peut paraître anodin, a eu d’importantes conséquences. Comme si on avait débranché l’alimentation de l’alarme. “Depuis que Maria Claudia Rojas est en poste, la qualité des enquêtes a significativement baissé”, relève l’une de nos sources. Une impression confirmée par les documents de Football Leaks. Dès décembre 2017, Maria Claudia Rojas a été mise au courant de lourds soupçons de corruption, documentés dans un rapport d’experts de PriceWaterhouseCoopers, à l’encontre de David Chung, chef de la Confédération océanique et vice-président de la FIFA. Mais ce n’est qu’en avril 2018, après un article du “New York Times”, que David Chung se retire “pour raisons personnelles”, sans que la commission d’éthique ait publiquement joué un rôle.

“Nous aurions très certainement suspendu immédiatement monsieur Chung, au moins provisoirement”, estime Hans-Joachim Eckert.

Maria Claudia Rojas a moins de retenue lorsqu’il s’agit de profiter des plaisirs liés à sa fonction. L’avocate a séjourné durant la totalité de la Coupe du monde 2018 dans un luxueux hôtel à Moscou et où d’autres dirigeants de la FIFA séjournaient.

Le règlement de la FIFA prévoit que seuls les voyages pour le match d’ouverture et la finale auraient dû être pris en charge pour Maria Claudia Rojas. A moins qu’elle n’ait été obligée de rester sur place pour son travail. Hans-Joachim Eckert affirme n’avoir voyagé au Brésil que pour deux réunions de la commission d’éthique et le match d'ouverture du Mondial 2014. Et ne pas avoir dormi dans le même hôtel que les dirigeants de la FIFA. “Je ne vois pas comment j’aurais pu justifier de passer toute la durée du tournoi dans l’hôtel de la FIFA.”

Le curriculum de Maria Claudia Rojas montre qu’elle n’est pas spécialisée dans la corruption, ni même en droit pénal. Son CV n’indique pas qu’elle parle anglais, la langue la plus utilisée dans les procédures. Les Football Leaks montrent à quel point elle est loin du terrain: le secrétariat de la commission à Zurich travaille sur un cas, traduit les documents en espagnol et écrit des mémos avec des propositions sur les actions à entreprendre. Maria Claudia Rojas valide le tout avec un e-mail de deux mots: “De acuerdo”, d’accord.

En clair: une partie du pouvoir est, de fait, délégué au secrétariat. Ce qui permet à Gianni Infantino d'exercer son influence. A son arrivée, le président a fusionné le secrétariat des enquêteurs et des juges avec celui du reste de la FIFA. A sa tête, il y a placé un homme proche de lui, l’avocat italien septuagénaire Mario Gallavotti.

La FIFA défend María Claudia Rojas: l’espagnol est une langue officielle de l’organisation, parlée par plus de 400 millions de personnes dans le monde. Des cas liés à l’éthique touchent aussi l'Amérique centrale et l'Amérique du Sud, il est donc utile d'avoir quelqu'un qui parle espagnol. La Commission dirigée par María Claudia Rojas aurait suspendu des membres du Conseil ou des présidents d’association nationales. Depuis le début de l’année et jusqu’à aujourd’hui, 15 jugements auraient été rendus. María Claudia Rojas serait à Zurich pendant quelques jours chaque mois. Le duo Borbély-Eckert bénéficiait aussi du soutien de secrétariats.

Ce n'est pas le nombre de cas qui pose problème, mais la proximité des nouveaux enquêteurs avec le président, expliquent des insiders. Les enquêtes contre les dirigeants de la FIFA comme à l'époque de Borbély ne sont plus possibles. "Vu sous cet angle, la commission d'éthique est morte."

4 — Des règles réécrites

Le 14 août dernier, un journaliste de l’agence de presse AP remarquait que la FIFA avait modifié son Code d’éthique. Notamment en y supprimant le mot “corruption”. La nouvelle a fait le tour du monde: nombreux sont ceux qui y ont vu le signe d’une organisation peu encline à se réformer. Le Code d’éthique régit la manière dont les officiels de la FIFA doivent se comporter.

Les Football Leaks révèlent que ce nouveau Code d’éthique n’émane pas uniquement, comme le veut la version officielle, du bureau des spécialistes de l’éthique de la FIFA. En coulisses, une autre personne a exercé son influence.

Peu avant Noël 2017, Vassilios Skouris écrit un e-mail à Gianni Infantino. Le professeur grec, ancien président de la Cour de justice européenne, est le nouveau président de la commission d’éthique. “Cher Gianni, comme promis je t’envoie le projet du Code tel qu’il a été élaboré par Rojas et moi. (...) Si tu as des remarques, je te prie de les envoyer (...) afin que je puisse les incorporer dans le texte final.”

Le président répond le 11 janvier. Le nouveau Code est “vraiment excellent”, les changements “très positifs”. Mais, en tant que “bon vieux juriste”, il ne peut pas lire un règlement “sans faire de commentaires et/ou propositions”. Evidemment, on peut en discuter.

Gianni Infantino propose des modifications sur pas moins de douze articles. Dans plusieurs cas, il s’agit d’affaiblir les propositions. Il préférerait par exemple que même les pré-enquêtes informelles doivent être autorisées par le chef des enquêteurs - autrement dit, par “Superamiga”, Maria Claudia Rojas. La proposition des éthiciens visant à interdire les personnes exerçant un mandat politique de siéger dans une instance du football est par contre jugé “excessive”. Le président propose de nuancer. Au final, la proposition de nouvelle règle est purement et simplement abandonnée dans la version finale du nouveau Code d’éthique.

Autre chose: jusqu’ici, la FIFA pouvait intervenir lorsque les associations n’agissaient pas contre des infractions locales. “La FIFA n’est pas la police mondiale avec le devoir d’enquêter et de sévir sur tout partout dans le monde”, écrit Gianni Infantino. Il propose que la FIFA ne s’engage que de manière “subsidiaire”. Résultat: les défenseurs de l’éthique doivent désormais attendre un délai de trois mois avant de pouvoir se saisir d’un cas.

Hans-Joachim Eckert avait ouvertement spéculé que le nouveau Code d’éthique portait la griffe du président. “L’intervention de Gianni Infantino ruine la séparation des pouvoirs. Son e-mail est en lui-même une violation du Code d’éthique.” Selon lui, le président aurait dû prendre connaissance des nouvelles règles sans intervenir. Le professeur de droit pénal bâlois Mark Pieth est du même avis: “Ce n’est pas la tâche du président de s'immiscer dans les détails du Code”. Les deux juristes ont participé à l'élaboration de la version précédente du Code d’éthique de la FIFA. C’était en 2012 et à aucun moment le président, Sepp Blatter, n’est intervenu, explique Hans-Joachim Eckert.

Une perte d’influence des contrôleurs signifie un peu plus de pouvoir pour le président.

La FIFA écrit qu'en tant qu'avocat expérimenté, il est "tout à fait naturel" que le président Infantino ait un tel échange avec Vassilios Skouris. De toute façon, le juge Skouris ne modifierait jamais le Code d’éthique contre son gré.

L’intervention de Gianni Infantino ne transparaît nulle part, ni dans les communiqués ni dans la lettre présentant le nouveau Code aux fédérations nationales. Même lorsque les dirigeants passent en revue les changements, deux semaines après l’intervention du président, les seuls auteurs mentionnés sont les éthiciens, comme le montre un procès-verbal issu des Football Leaks.

C’est la deuxième règle du jeu de Gianni: prendre de l’influence tôt et de manière masquée pour qu’à la fin les décisions prises servent ses intérêts.

L’exemple le plus flagrant de cette tactique nous vient d’un temps où Gianni Infantino n’était pas encore à la tête de la FIFA. L’affaire concerne le Paris Saint-Germain et un sponsor particulièrement généreux.

5 — “Unfair Play”

Nous sommes le 19 avril 2014, au stade de France, à quelques minutes de la finale de la Coupe de la Ligue qui oppose le PSG à l’Olympique Lyonnais. Dans les gradins, les fans piétinent d’impatience à l’idée de voir Zlatan Ibrahimovic et Edinson Cavani dans leurs œuvres. Dans les entrailles du stade se joue le dernier acte qui façonnera le paysage des clubs de foot pour les années à venir. Dans le rôle principal: Gianni Infantino.

Le Suisse est alors secrétaire général de l’UEFA, la Confédération européenne. Les Football Leaks mettent au jour ses agissements d’alors, qui façonneront à jamais son héritage.

Que s’est-il passé? Pour le dire simplement: Gianni Infantino parvient en secret à un accord avec le PSG. Il court-circuite les propres experts d’UEFA et donne son accord à l’injection de centaines de millions de dollars venus du Qatar.

Avec cette décision, Gianni Infantino brise une promesse: depuis qu’il est secrétaire général, il a toujours clamé être particulièrement intraitable avec le “dopage financier” qui ronge le football. Le dopage financier est devenu l’une des expressions les plus importantes du football moderne. Voici comment cela fonctionne: un club vend par exemple un emplacement publicitaire sur son maillot, mais il reçoit plus d’argent que la valeur réelle de ce sponsoring. Il reçoit de l’argent sans contrepartie à la hauteur et cela crée une injustice vis-à-vis d’autres clubs qui ne sont pas “dopés”.

L’oligarque russe Roman Abramovitch était l’un des précurseurs. En 2003, il a acheté le club anglais de Chelsea. D’autres ont suivi en injectant des milliards dans des clubs européens. Des oligarques, des cheiks voire des Etats comme le Qatar ou Abu Dhabi ont racheté Manchester City, l’AS Monaco ou justement le PSG.

Grâce à cet argent, les clubs des milliardaires construisent des équipes de rêve. Ils font monter les prix des joueurs à tel point que les clubs sans investisseurs richissimes ne peuvent plus régater. Conséquence: ils s’endettent. “Cela crée une spirale, prévenait Gianni Infantino lui-même en 2012 dans une interview à la “NZZ”. Lorsque tu as Messi, je dois avoir Ronaldo. Parce que je dois être plus fort que toi.”

Depuis 2010, l’UEFA impose donc aux clubs des règles de “fair play financier”. D’une part, elles doivent assurer que les clubs ne s’endettent pas trop fortement. Un objectif qui serait désormais atteint, comme l’UEFA et la FIFA le soulignent dans leur réponse adressée à l’EIC. D’autre part, ces règles interdisent aux riches propriétaires de clubs d’injecter des milliards dans leur équipe par le biais de contrats de sponsoring ou de publicité gonflés.

En mai 2011, Gianni Infantino accorde une interview au site Goal.com. “L’époque où les Sugar Daddies pouvaient injecter des centaines de millions dans un club est révolue”, dit-il. Les grands clubs sont aussi concernés. “Nous appliquerons les peines les plus sévères en cas de violation des règles.”

Mais pourquoi les mécènes sont-ils prêts à mettre tant d’argent dans les clubs? Pour certains, c’était un hobby, pour d’autres un investissement. Pour les Qatariens qui ont repris le PSG en 2011, il y avait une motivation politique: l’Émirat est l'un des pays les plus riches du monde, mais il est dépendant de ses réserves de pétrole qui finiront par s’épuiser et se sent menacé par son voisin l'Arabie saoudite. Le Qatar aspire au pouvoir politique et au pouvoir économique, mais il veut aussi être populaire. Avec le sport, les dirigeants voient un moyen d’obtenir le tout.

Le pays veut “obtenir une reconnaissance sur la scène internationale”, précise un contrat secret entre les Qatariens et le PSG. L’Émirat s’est vu octroyer l'organisation de la Coupe du monde 2022. L’achat du PSG serait une partie du “plan” pour devenir une puissance du sport. D’ici à 2017, le PSG doit devenir “l’un des cinq meilleurs clubs d’Europe”. Il faut donc acheter “rapidement” une équipe à la hauteur de la Ligue des champions.

Pour cela, le club doit obtenir de plus d’un milliard d’euros sur plusieurs années. Les documents évoquent aussi le problème avec ce plan: le fair-play financier que Gianni Infantino veut appliquer de manière si stricte.

Les nouvelles règles sont claires: le propriétaire d’un club, comme le Qatar, ne peut pas simplement injecter de l’argent sans contrepartie. Même en utilisant des subterfuges. Pourtant en août 2012, l’Office du tourisme qatarien signe un surprenant contrat avec le PSG. Il prévoit que ce dernier doit recevoir durant cinq années jusqu’à 215 millions d’euros en moyenne, soit plus d’un milliard au total. Les Qatariens vont même payer rétroactivement pour la saison 2011-2012, alors que le contrat n’existait pas.

En échange de quoi? Même pas un logo sur les maillots. Le club s’engage seulement à être disponible pour des “activités promotionnelles”, qui ne sont pas définies plus précisément, et à autoriser le Qatar à utiliser son nom.

Difficile d’imaginer une violation plus claire du fair-play financier. L'Émirat le sait bien. Des documents internes issus de Football Leaks montrent que la direction du PSG élabore des stratégies de défense au cas où l’UEFA s’intéresserait au contrat. Ce qui ne va pas manquer de se produire.

A l’UEFA justement, le PSG est dans le radar de la Chambre d'instruction de l'Instance de contrôle financier des clubs depuis 2013. Les enquêteurs mandatent des experts externes pour produire plusieurs avis de droit qui doivent déterminer si le club fournit une contrepartie qui vaut un milliard ou s’il s’agit d’un cas de dopage financier par le Qatar. Ces rapports, rendus publics pour la première fois grâce à Football Leaks, sont explosifs.

Takis Tridimas, une sommité dans le domaine du droit de la concurrence, écrit dans un rapport de 13 pages, qu’il est “clair” que les montants figurant dans ce contrat avec le PSG “vont au-delà de ce que permettent les règles du fair-play financier”. Il y aurait des “indices très forts” que l’accord “est conçu pour contourner ces règles”. Mark Hoskins, expert au sein du cabinet d’avocats anglais Brick Court Chambers, arrive à la même conclusion.

La pression monte sur le PSG. Une réunion s’organise entre Gianni Infantino, le président de l’UEFA, Michel Platini, et le président qatarien du PSG, Nasser al-Khelaifi. Elle a lieu à Nyon le 27 février 2014. Nasser al-Khelaifi se serait montré offensif, selon des insiders: ce n’est pas dans l’intérêt de l’UEFA de s’en prendre à l’Etat du Qatar, aurait-il déclaré.

Comment Gianni Infantino va-t-il réagir? Il sait que le contrat avec le Qatar ne respecte pas les règles. Il sait aussi que l’enquête est aux mains de la Chambre d'instruction “complètement indépendante”, comme il le dit lui-même, et qu’il ne peut pas intervenir. Le camp du PSG demande à négocier un accord avec lui et Michel Platini. L’instance responsable au sein de l’UEFA devrait ensuite simplement valider cet accord. Et Gianni Infantino… accepte d’entrer en matière. Les documents Football Leaks révèlent qu’à partir du 10 mars 2014 il négocie régulièrement en secret avec le PSG et Nasser al-Khelaifi.

Pourtant, le lendemain de la réunion à Nyon, Gianni Infantino se présente devant les médias et affirme une nouvelle fois que l’UEFA jouera un “rôle de premier plan” dans la “défense du football” contre “la cupidité et les dépenses inconsidérées” de certains propriétaires de clubs.

En mars arrive le dernier avis de droit concernant le contrat du PSG. Octagon, la société de conseil la plus réputée du monde en matière de droit du sport, rend une analyse de 116 pages sur l’accord avec Doha. En comparaison avec les contrats de huit autres clubs de premier plan comme le Real Madrid ou le Bayern de Munich, le paiement des Qatariens dépasse de 7186% la valeur maximale attendue pour ce type de prestation. La contrepartie offerte par le PSG ne vaudrait pas 215 millions d’euros par an en moyenne comme indiqué dans le contrat, mais seulement 2,78 millions. L’investissement serait “massivement surévalué”. De facto, du dopage financier.

Extrait de l’analyse d’Octagon: le paiement des Qatariens dépasse de 7186% la valeur maximale attendue pour ce type de prestation
Extrait de l’analyse d’Octagon: le paiement des Qatariens dépasse de 7186% la valeur maximale attendue pour ce type de prestation

Aujourd’hui, le PSG conteste cette analyse. Le club écrit qu’il s’agit d’un contrat de “Nation branding” qui suit une stratégie dont le but est de donner une image positive du Qatar. Ce serait la contrepartie des investissements massifs. Octagon a comparé le contrat qatarien avec des partenariats stratégiques sur le long terme, comme ceux signés par le Comité international olympique. Conclusion: sous cet angle aussi, le contrat avec le Qatar apparaît “massivement gonflé”.

En avril 2014, Gianni Infantino a alors tout en main pour arrêter la “cupidité” et les “dépenses inconsidérées”, comme il les appelle. Il suffirait que son administration envoie une copie du rapport d’Octagon au PSG, d’arrêter les négociations secrètes et de laisser les enquêteurs de la Chambre d'instruction de l’UEFA faire leur travail. Ces derniers parviennent entre-temps à la même conclusion: le contrat enfreint clairement les règles. Étonnamment, ni le rapport de la Chambre d'instruction, ni les évaluations chiffrées d’Octagon, ni les avis de droit ne semblent être transmis au PSG. Le club affirme aujourd'hui ne pas y avoir eu accès. Pourquoi ces documents n’ont-ils pas été transmis? Mystère. Ce que l’on sait par contre, c’est que Gianni Infantino accepte un nouveau rendez-vous secret avec les dirigeants du PSG. Celui du 19 avril 2014, jour de la finale de la Coupe de la Ligue.

Selon les documents de Football Leaks, Gianni Infantino cède ce jour-là. Au lieu des 2,78 millions d’euros, le secrétaire général de l’UEFA accepte un apport financier du Qatar de 100 millions d’euros par année. Et, de facto, donne son feu vert à du dopage financier.

Contactée, l’UEFA explique que ce type d’accord avec les clubs est possible lorsqu’il existe un business plan “suffisamment fiable" qui prévoit que le club va se mettre en conformité. Dans les faits, le PSG a dû promettre à Gianni Infantino que le contrat serait complété pour le rendre compatible avec les règles. Dès le début des négociations, l’UEFA implorait d’ailleurs les Qatariens de les aider à rendre ce contrat plus crédible. Ce contrat sera bel et bien complété, mais signé des années plus tard et sera tout aussi controversé. Gianni Infantino accepte l’arrivée de centaines de millions d’euros pour plusieurs années de manière rétroactive.

Ce samedi-là, les dirigeants du PSG savourent leur victoire. Sur le terrain, leur équipe remporte la finale 2 à 1. Les deux buts parisiens ont été marqués par Edison Cavani, l’attaquant uruguayen acheté pour la somme record de 64 millions d’euros par le PSG - avec l’injection d’argent qui vient d’être validée par Gianni Infantino.

Pourquoi le secrétaire général de l’UEFA a-t-il abdiqué? Une lettre a par la suite circulé au sein de l’UEFA, expliquant, avec une liste de 13 arguments à l’appui, pourquoi il ne s’agissait nullement d’une “capitulation” face au PSG. Au contraire: il est “raisonnable”, peut-on lire, de ne pas écarter les grands clubs et les meilleurs joueurs de la Ligue des champions. Voilà qui a le mérite d’être clair: si les règles du fair-play financier avaient été appliquées strictement, le PSG risquait une exclusion de la Ligue des champions. Il ne fallait pas en arriver là.

La FIFA, qui nous a répondu au nom de Gianni Infantino, ne prend pas position sur les détails des négociations avec la PSG et le rôle qu’a joué le Suisse à l’époque. Mais elle indique que le secrétaire général de l’UEFA peut, dans ces circonstances, “aider à trouver une solution”. Y compris lors de “discussions” ou de “rendez-vous”. La réponse de l’UEFA décrit, quant à elle, de manière très différente la rôle de l’administration Infantino dans ce type de négociations. Elle ne ferait que mettre à disposition une infrastructure, du personnel et un soutien logistique. Afin de préserver l’indépendance de la Chambre d'instruction. L’association souligne que ce n’est pas le secrétaire général qui propose des accords avec le club, mais cette Chambre. Gianni Infantino souligne, via la FIFA, qu’en fin de compte seule la Chambre est responsable de ce type d’accord.

Vraiment?

Formellement, c’est le président de la Chambre d'instruction qui est responsable. A l’époque, il s’appelle Brian Quinn. Lors d’une séance qui s’est tenue le 2 mai 2014, il refuse de valider l’accord négocié par Gianni Infantino avec le PSG. Selon un participant, il aurait déclaré que l'accord était “trop indulgent" par rapport à l'ampleur des violations commises par PSG. Il a démissionné sur-le-champ. Un remplaçant a dû être nommé pendant la séance. Un remplaçant qui a signé l’accord.

Le club parisien estime pour sa part que “la manière dont le PSG gère sa conformité au fair-play financier a été exemplaire, on a toujours suivi une réglementation même lorsqu’elle a changé”.

Ce que craignait Brian Quinn s’est réalisé: le contrat validé par Gianni Infantino a créé un précédent qui s’est transformé en une dynamique dévastatrice. Les mesures de l’UEFA contre le dopage financier des riches mécènes ont perdu une grande partie de leur effet dissuasif. Dans les années qui ont suivi, les salaires des joueurs et les sommes de transfert ont atteint de nouveaux records. Personne ou presque ne semble se préoccuper du dopage financier. L’année dernière, le PSG a acheté les deux buteurs Neymar et Mbappé pour plus de 400 millions d’euros. Les transferts les plus chers de l’histoire. L’UEFA présidée par Aleksander Čeferin poursuit son enquête. Pour l’instant sans résultat.

Et Gianni Infantino? Cela ne l’a pas empêché de devenir, deux ans plus tard, président de la FIFA et donc l’homme le plus puissant du football. Les documents de Football Leaks montrent qu’il est peut-être sur le point de vendre une partie des prérogatives de la FIFA.

Mbappé et Neymar
Mbappé (180 millions d'euros) et Neymar (220 millions d'euros). (Photo: Aurelien Meunier/Getty Images)

6 — Déclaration de guerre

Aleksander Čeferin, le président de l’UEFA, lit son discours d’une voix calme, sans nommer la personne à qui il s’adresse. “Le football n’est pas à vendre, déclare le Slovène à Bruxelles. Je ne peux pas accepter que certaines personnes envisagent de vendre l'âme des tournois de foot à des fonds privés nébuleux - aveuglés par la recherche du profit.”

Ses déclarations filmées sont moins destinées à son audience du jour - les députés membres du Conseil européen de la formation, de la jeunesse, de la culture et du sport - qu’à un ancien de la maison. Celui-là même qui a reçu près d’un million de francs de l’UEFA pour la campagne qui lui a permi de devenir président de la FIFA.

Nous sommes le 23 mai 2018 et Aleksander Čeferin déclare la guerre à Gianni Infantino à qui il reproche “un mercantilisme très cynique et sans scrupule”.

Hauptgrund des Zerwürfnisses ist eine Initiative, die der Fifa-Präsident heimlich und in aller Eile gestartet hat. Codename: «Project Trophy». Infantino will zwei neue Fussballturniere lancieren, wofür ein mysteriöses Konsortium bereit ist, bis zu 25 Milliarden Dollar zu zahlen.

Kurz vor Čeferins Attacke hatte die «New York Times» erste Details zu Infantinos Plänen öffentlich gemacht. Dokumente zeigen jetzt, wie ein kleiner Kreis einflussreicher Geschäftsleute das Projekt in einem Höllentempo vorantreibt – und versucht, die Kontrolle über Teile des Fussballs zu erlangen. Davor warnte sogar Blatter: «25 Milliarden für ein Stück vom grossen Kuchen? Das ist falsch! Man darf den Fussball nicht verkaufen.»

La raison principale de cette bisbille est une opération que prépare secrètement et précipitamment le président de la FIFA et baptisée “Projet Trophy”. Gianni Infantino veut lancer deux nouveaux tournois de foot, pour lesquels un mystérieux consortium est prêt à investir 25 milliards de dollars.

Peu avant la déclaration de guerre d’Aleksander Čeferin, le “New York Times” a publié les premiers détails de ce plan. Les documents de Football Leaks apportent de nouveaux éléments concernant le “Projet Trophy”. Ils montrent comment un petit cercle d'hommes d'affaires influents fait avancer le projet à un rythme effréné. Et comment il essaie de prendre le contrôle d’une partie du football. Un projet dont même Sepp Blatter se méfie: "25 milliards pour une part du gâteau? C'est mal! On ne peut pas vendre le football.”

L’histoire commence en décembre 2017 pendant la Coupe du monde des clubs de la FIFA qui se déroule aux Emirats arabes unis. Sur la listes des invités personnels de Gianni Infantino se trouvent trois noms qui n’ont a priori rien à voir avec le foot: trois ex-banquiers de la Deutsche Bank et de Goldman Sachs qui gèrent aujourd’hui leur propre société appelée Centricus.

Le jour de la finale du tournoi, l’un d’eux rencontre la secrétaire générale de la FIFA, Fatma Samoura. Et il lui fait une offre alléchante: il lui propose de transformer la Coupe du monde des clubs de la FIFA en un mégatournoi qui rapporterait jusqu’à 2 milliards de dollars par édition.

Dans une lettre datée du 22 janvier 2018, la FIFA autorise Centricus à chercher des investisseurs. Un mois plus tard seulement, un gros investisseur s’assied à la table des négociations lors d’un rendez-vous secret à l’aéroport du Bourget, à Paris: Softbank, un géant japonais de la technologie, qui a par le passé déjà signé des contrats de plusieurs millions avec Centricus.

Entre-temps, il ne s’agit plus seulement de réformer la Coupe du monde des clubs de la FIFA, mais aussi de créer un second tournoi: une ligue réunissant toutes les équipes nationales du monde, tous les deux ans, plus de 700 matches. Pour l’occasion, le FIFA et les investisseurs créeraient une joint-venture: le fonds FIFA Football Digital.

Cette coentreprise servirait à l'organisation des nouveaux tournois, mais pas seulement. Elle serait détentrice exclusive des droits très lucratifs de “l’écosystème digital” de la FIFA, dont le contenu créé pour les plateformes E-Sport de la FIFA et les canaux TV, ainsi que l’entier des archives de la fédération. Plus tard, le Football Digital Fund deviendrait un véhicule pour "consolider l'ensemble du contenu de la FIFA". C’est ce que prévoyait le contrat secret entre Centricus et Softbank.

Qu’est-ce que cela veut dire concrètement? Même les hauts fonctionnaires de la FIFA se posent la question: parle-t-on de céder les images de la “main de Dieu” de Maradona?

Le 16 mars, le Conseil de la FIFA, pourtant pas réputé pour sa résistance, rejette une première fois l’idée du projet “Trophy”. Gianni Infantino essaie de calmer l'esprit à la hâte. Dans une lettre, il assure aux membres du Conseil, que la FIFA conserverait le contrôle de l'entreprise commune et tous les droits. Mais il manque des informations importantes dans la lettre de dix pages, comme le nom des bailleur de fonds.

De nombreux officiels du football restent méfiants. “L'identité des investisseurs doit être rendue publique”, exige le chef de l’UEFA, Aleksander Čeferin, dans une lettre à Gianni Infantino le 8 mai 2018. Il se sent court-circuité par le président de la FIFA et mis devant le fait accompli. Parce que Gianni Infantino négocie avec un partenaire qui n'a pas remporté un appel d'offres public, mais qui a approché la FIFA en coulisses. Les sommes en jeu sont à peine imaginables. L’objectif est de récolter jusqu'à 3 milliards de dollars pour chaque Coupe du monde des clubs, jusqu'à 2 milliards pour chaque Ligue des équipes nationales. Vingt-cinq milliards sur 12 ans. Les choses se sont encore compliquées lorsque le nom de Softbank a été divulgué: un investisseur qui cultive les meilleures relations avec l'Arabie saoudite. Le Royaume s'efforce par tous les moyens de gagner de l'influence sur la scène sportive internationale.

Softbank gère le plus gros fonds de capital-investissement privé du monde. Le premier et le plus gros investisseur de ce dernier: le fonds souverain saoudien qui pèse 45 milliards de dollars sur un total de 93 milliards. En 2016, Centricus a participé à la mise sur pied du fonds Softbank et elle aurait aussi amené, selon ses propres dires, les 45 milliards saudiens. Les financiers qui ont rapproché le fonds souverain saoudien de la firme japonaise jouent maintenant les entremetteurs entre Softbank et la FIFA.

Un connaisseur de la FIFA déclare: "La proximité de l'Arabie saoudite avec le projet “Trophy” est évidente. Il y a un risque que la FIFA vende indirectement le coeur de ses affaires à l'Arabie saoudite.” A cela s’ajoute le fait qu’au moment de la naissance du projet “Trophy”, Gianni Infantino s’est rendu à trois reprises au palais du roi saoudien, pour parler de “coopérations”. Deux visites en décembre 2017, puis une en mai 2018. Des rencontres aussi rapprochées entre les dirigeants d’un Etat et le président de la FIFA sont très inhabituelles.

Jusqu’à aujourd’hui, Gianni Infantino n’a pas réussi à rétablir la confiance. “Nous ne comprenons pas l'urgence et l'inconscience avec lesquelles la FIFA procède dans cette affaire", a écrit l'Association mondiale des Ligues de football professionnel, le World Leagues Forum, dans une lettre à Gianni Infantino le 22 octobre 2018. Il y a une semaine, le Conseil de la FIFA a une nouvelle fois freiné son président. Au lieu d'approuver les deux nouveaux tournois, le Conseil a décidé de mettre sur pied un groupe de travail chargé d'élaborer des propositions pour le printemps prochain. Pour la première fois, le président de la FIFA parle d'un "processus de consultation". En clair: retour au point de départ. Le manque de transparence était tout simplement trop grand.

Titelseite des Dokuments zu Project Trophy
Le fonds FIFA Football Digital comme moyen de "consolider l'ensemble du contenu de la FIFA". Les fonctionnaires de la FIFA se posent la question: parle-t-on de céder les images de la “main de Dieu” de Maradona?

Centricus, Softbank, le fonds souverain saoudien et le ministre saoudien des Sports n’ont pas répondu à nos questions sur le projet “Trophy”. La FIFA estime qu’il est normal de discuter des possibilités de financement de nouvelles compétitions: “Si le président et son administration n’examinent pas ce genre de choses, ils ne feraient pas leur travail.”

Après la réunion du Conseil de la FIFA, il y a une semaine, Gianni Infantino s’est présenté devant la presse. L’investisseur serait toujours intéressé, a-t-il assuré sans donner de nom. Un fonds souverain? Non, non, aucun ne serait impliqué.

7 — “Ciao Capo”

A première vue, il s’agit d’un selfie sympathique. Deux fans de foot se sont pris en photo dans l’enceinte du stade Loujniki, à Moscou, au soir du 1er juillet 2018, lors du huitième de finale de la Coupe du monde entre la Russie et l’Espagne.

L’homme de droite, le roi d’Espagne Felipe VI. Celui de gauche, Rinaldo Arnold, premier procureur de la région du Haut-Valais. Le Suisse a publié cette photo sur son profil Facebook. Avec un commentaire: “Le roi d’Espagne était aussi au match en Russie aujourd’hui!”. 164 likes.

Screenshot eines Facebook-Posts von Rinaldo Arnold mit König Felipe VI. von Spanien
Selfie depuis le secteur VIP

Que fait un magistrat suisse dans le secteur VIP, normalement inaccessible au commun des mortels, lors d’un huitième de finale de la Coupe du monde? La réponse se trouve dans une amitié née à Brigue. C’est Gianni Infantino qui a invité Rinaldo Arnold à Moscou, ainsi qu’au match Suisse - Costa Rica au stade de Nijni Novgorod. Le procureur aurait aussi été aperçu au Congrès de la FIFA à Mexico, en 2016, selon nos informations. De son côté, Rinaldo Arnold a pris son téléphone pour récolter des informations pour le compte de Gianni Infantino auprès du Ministère public de la Confédération, alors que celui-ci enquête dans le monde du foot.

Les deux hommes ont grandi à Brigue, ils se connaissent depuis l'adolescence. Ils ont fait des études de droit, Rinaldo Arnold à Berne et Gianni Infantino à Fribourg. Ni l’un ni l’autre ne sont connus pour leurs exploits footballistiques - tous deux ont joué ensemble en 5e ligue. Rinaldo Arnold a repris la présidence du FC Brig-Glis, Infantino a dirigé le FC Folgore, une équipe loisir qu’il a fondée avec des amis. Puis leurs trajectoires semblent s’éloigner. Gianni Infantino va travailler au Centre international d'étude du sport à Neuchâtel, puis à l’UEFA dont il deviendra le secrétaire général. Rinaldo Arnold choisit l’Etat du Valais.

Mais les deux hommes ne se perdent pas de vue. Lorsque Gianni Infantino se lance dans la course à la présidence de la FIFA, Rinaldo Arnold écrit une lettre de lecteurs dans le “Walliser Bote”: “Il place le football et le sport au centre, pas le pouvoir, l’argent ou la corruption.” Après son élection, les deux compères organisent ensemble un match à Brig: le “Gianni’s Game”. Une sorte de tournoi amical qui fait aussi office de réception officielle pour le nouveau chef de la FIFA. Gigi Buffon est au but, Stéphane Chapuisat aux avant-postes. Quelque 4500 personnes assistent au match.

C’est la face publique de l’amitié entre les deux Haut-Valaisans.

Ce qui n’est pas public, ce sont les places très convoitées que Rinaldo Arnold obtient de la part de Gianni Infantino. “Merci beaucoup pour les billets pour la finale de la Ligue des champions, écrit le procureur dans un e-mail le 25 mai 2016. Mon fils cadet y va avec ma femme, parce que je dois participer à un événement du FC.”

Deux semaines plus tôt, Rinaldo Arnold s’était rendu au Congrès de la FIFA à Mexico. “Je voudrais te remercier une fois encore pour l’invitation à Mexico. C’était passionnant et intéressant”, lit-on dans un autre message. Le ton est familier: le procureur commence son message par “Ciao Capo”. “Salut patron”.

Ces faveurs ne sont pas à sens unique.

Rinaldo Arnold est là lorsque Gianni Infantino a des ennuis. Le 6 avril 2016, quelques semaines avant Mexico, le Ministère public de la Confédération (MPC) perquisitionne le siège de l’UEFA à Nyon, suite aux révélations des Panama Papers. Les enquêteurs cherchent des preuves d’un contrat douteux de droit TV, signé par Gianni Infantino.

Le Ministère public ouvre une procédure contre inconnu, pas contre le président lui-même. Mais comme c’est lui qui a signé le document, son nom circule immédiatement dans les médias. Le soir même, il écrit à son ami Rinaldo Arnold. Il ressort de cet échange d’e-mails que ce dernier a pris contact avec le Ministère public de la Confédération pour récolter des informations et ensuite offrir son aide au président de la FIFA: “Si tu veux, je peux essayer de faire en sorte que le MPC diffuse un communiqué de presse qui expliquerait qu’il n’y pas de procédure contre toi.”

Le procureur valaisan va plus loin: il propose de réfléchir si “nous/tu ne devrions pas porter plainte pour diffamation”. Et il propose de l’accompagner à une réunion avec les enquêteurs fédéraux, “si cela ne pose pas de problème pour toi ou pour ton responsable juridique”.

Ce ne serait pas une première. Quelques semaines plus tôt, Rinaldo Arnold a organisé un rendez-vous secret avec le procureur général, Michael Lauber. L’autorité de poursuite pénale mène alors, après les arrestations du Baur au Lac, 25 procédures liées à la FIFA dont une contre Sepp Blatter. La fédération est impliquée dans ces procédures en tant que partie lésée.

Le 22 mars 2016, Lauber et Infantino se sont rencontrés dans le luxueux hôtel bernois Schweizerhof. "Cette réunion d'une heure a servi à la compréhension générale du complexe des enquêtes dans le domaine du football (...) ainsi qu'à clarifier la position de la FIFA en tant que plaignant et partie lésée", écrit aujourd'hui le Ministère public de la Confédération. Le procureur général suisse était accompagné de son responsable de l'information, André Marty. Et Gianni Infantino? Il n’est pas venu avec un juriste interne ou un avocat de la FIFA bien au fait des 25 procédures. Il était accompagné de Rinaldo Arnold.

Le premier procureur valaisan joue le rôle de conseiller de l’ombre pour le président de la FIFA. Sa fonction pourrait l’avoir aidé. Pourquoi a-t-il agi ainsi? Nous n’avons pas la réponse à cette question. Mais Rinaldo Arnold indique à la fin d’un e-mail à Gianni Infantino envoyé le 25 mai 2016: “Si ta nouvelle secrétaire générale a besoin d’un adjoint, je me propose volontiers… ☺”.

Le transfert ne s’est pas réalisé jusqu’à présent. Les poursuites pénales engagées contre inconnu ont été traitées et abandonnées, et les soupçons du Ministère public de la Confédération concernant les contrats de télévision n'ont pas été étayés.

La FIFA confirme que son président a invité Rinaldo Arnold comme “connaissance personnelle” à des événements et des tournois. Le procureur valaisan n’a pas souhaité indiquer s’il avait payé une partie des billets ou des voyages lui-même. Il écrit: “J’entretiens un contact purement privé avec monsieur Infantino. Il est un camarade, depuis des années. Cette camaraderie n’a rien à voir avec mon activité professionnelle. En tant que premier procureur du Haut-Valais, je n’ai jamais traité d’affaires en lien avec monsieur Infantino.”

Le professeur de droit pénal Mark Pieth n’est pas du même avis: “Je vois deux problèmes en ce qui concerne le procureur général: d'une part, il accepte d’être invité par Gianni Infantino. D'autre part, alors même qu’il y a plusieurs procédures en cours, il organise une rencontre entre Gianni Infantino et le procureur fédéral, qu'il a pu organiser plus facilement qu'un citoyen lambda du fait de sa fonction officielle. On peut sérieusement se demander s'il n'a pas accepté des avantages en tant que fonctionnaire.”

La surveillance des procureurs valaisans relève de la compétence du procureur général, Nicolas Dubuis. Ce dernier nous a répondu que Rinaldo Arnold lui avait indiqué que ses relations avec Gianni Infantino étaient “d’ordre purement privé”. Dans un second e-mail, Nicolas Dubuis nous indique que “le bureau du Ministère public examinera lors d’une prochaine séance la suite à donner aux faits portés à sa connaissance dans vos courriels”.

L’affaire Rinaldo Arnold illustre la troisième règle du jeu de Gianni: dans le doute, compte sur tes amis. On se connaît, on s'entraide, on règle les problèmes entre nous. Ce n’est pas nouveau: c’était la recette du succès de Sepp Blatter.

Pour comprendre pourquoi les protagonistes changent, mais pas les méthodes, il faut se rendre à Florence.

8 — “Un cartel politique”

Miguel Poiares Maduro reçoit dans son appartement en attique à Florence. Dans le salon, un piano à queue. "Je n'y ai pas touché depuis des mois", explique le professeur. D'autres choses sont plus importantes pour lui.

Comme la politique dans le monde du foot. Ce professeur de droit est arrivé à la FIFA en 2016, il a été recruté par Gianni Infantino pour aider la fédération à gérer l'héritage des années Sepp Blatter. A la demande de ce dernier, il a pris la présidence du comité de gouvernance. Son travail consistait à examiner les nouvelles candidatures à des postes à la FIFA, surveiller les élections et proposer de nouvelles règles.

Moins d’une année plus tard, le poste était à nouveau vacant. Trop de puissants s'étaient plaints de son ingérence. Lorsque le comité de Miguel Maduro n'a pas laissé le vice-premier ministre russe Vitaly Mutko être réélu à l'exécutif de la FIFA, Gianni Infantino a également exercé une pression extrême sur lui. "Dans le football, nombreux sont ceux qui pensent que c'est au président qu'il incombe de gérer les organes en théorie indépendants", explique Miguel Maduro. Il a résisté, Mutko est resté dehors, Miguel Maduro a été destitué. Le président et le professeur ne se sont plus jamais parlé.

Le football est piégé dans un "cartel politique", estime aujourd’hui Miguel Maduro. En théorie, la FIFA est structurée démocratiquement de bas en haut, dit Miguel Maduro - mais en fait, le président exerce le pouvoir du haut vers le bas. Il est trop facile d’acheter des voix avec de l’argent ou des postes bien payés. Et puis il y a la culture: dans les années 1970, le sport est devenu un business à plusieurs milliards, mais les fédérations n’ont pas suivi et se comportent souvent comme des structures amateurs, des gentlemen's club.

Au Département américain de la justice, des voix considèrent que la Suisse est responsable de l'imposition de règles plus strictes à la FIFA et à d'autres organisations sportives. Mais Miguel Maduro pense que le pays est trop petit pour ça. C'est pourquoi il demande l'intervention de l'Union européenne, par exemple par le biais d'une nouvelle agence chargée de contrôler toutes les organisations sportives. Sauf qu’il y aura bientôt des élections législatives et que “rien ne se passera avant cette date”, soupire Miguel Maduro. Et après? "On verra."

Si ce "cartel politique" est si fort, comment Gianni Infantino aurait-il pu tenir ses promesses? Le match n’était-il pas perdu d’avance?

C'est une question qui donne la migraine à tous ceux qui se la sont posée. Certains affirment que Gianni Infantino, qui a récupéré la FIFA au milieu de sa plus grande crise, est tout de même parvenu à stabiliser la situation et à faire de la Coupe du monde en Russie un succès. Mais avec quelles méthodes?, s’interrogent d’autres. Des accords secrets? Des promesses d’argent? Il aurait pu changer les règles du jeu, instaurer une nouvelle culture, plus ouverte et transparente. “Il y aurait eu une onde de choc, puis le football se serait adapté”, estime un insider.

Miguel Maduro pense que Gianni Infantino aurait dû risquer sa propre réélection, pour forcer à changer le fonctionnement de l’organisation. "Mais c'est facile à dire pour moi. Ma carrière est ailleurs. Le football n’est pas ma vie."

9 — Epilogue

Lors du "Gianni's Game" à Brigue, Gianni Infantino obtient un penalty. Il veut le tirer lui-même.

Le penalty est la chose la plus facile dans le football. Et la plus dure. Si vous visez assez précisément, vous marquez. Un coup de pied de réparation converti peut faire basculer un match, devenir un tournant. Ou pas.

Gianni Infantino s'est créé une telle opportunité, au propre comme au figuré. Sa présidence peut également être considérée comme un penalty, une chance de ramener le football mondial dans le jeu. A Brigue, Giovanni Vincenzo Infantino prend quelques pas d’élan, frappe dans le ballon - exactement au milieu du but. Le gardien l’arrête.

Des enfants jouent dans les ruines du grand hôtel Beira au Mozambique. (Photo: Juan Manuel Castro Prieto/Agence Vu/Keystone)
Kinder spielen vor der Ruine des Grande Hotel Beira in Mozambique.