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Le Covid s’est diffusé dans l’EMS chambre après chambre

La maison de retraite tessinoise Il Circolo del Ticino a connu une mortalité très élevée. Plus de 20 pensionnaires sont décédés du Covid au printemps 2020. La reconstitution de cette tragédie révèle le dilemme de la direction et le désarroi du personnel.

Dominique Botti, Roland Gamp, Sebastian Broschinski
Mis à jour le 21 mars 2021

Elle aurait voulu prendre son mari dans les bras. Une toute dernière fois. Dire à Giorgio qu’elle l’aimait, qu’elle n’oublierait pas leur trente-trois ans de vie commune. Mais Valeria n’a pas pu le faire. Depuis deux semaines, elle n’avait plus accès à lui à cause de l’interdiction des visites dans l’EMS: «Giorgio est mort seul, loin des siens.» Elle soupire: «Je lui avais pourtant promis que je ne l’abandonnerai pas, que je resterai à ses côtés jusqu’à la fin. Je n’ai pas pu le faire.»

Photo de l'EMS Il Circolo del Ticino, partiellement caché par les arbres
Au printemps 2020, la maison de retraite de Bellinzone (TI) a été sévèrement touchée par le Covid.
Ti-Press / Alessandro Crinari

Giorgio est décédé du Covid le 28 mars 2020, à l’âge de 77 ans. Cet ancien ingénieur et chef de la protection civile est mort dans sa chambre de la maison de retraite du Circolo del Ticino à Bellinzone (TI). Il logeait au troisième, celui des retraités âgés et fragiles. «Ce quartier a été ravagé par le coronavirus durant la première vague», raconte sa femme Valeria (71 ans). Selon le décompte officiel, début avril, les deux-tiers des pensionnaires de son étage (11 sur 16) ont attrapé la maladie. Huit sont décédés.

Map of switzerland. Ticino is marked.

Giorgio n’est pas le seul à avoir succombé au Covid dans l’EMS. Cet établissement du quartier de Sementina est devenu malheureusement célèbre au Tessin. Il y a eu beaucoup d’infections en peu de temps. En tout, plus de 20 pensionnaires sur 80 sont décédés entre mars et avril 2020. Près du quart d’entre eux. C’est un des pourcentages les plus élevés du canton, selon les calculs du conseiller communal Tuto Rossi (UDC) à Bellinzone.

Cette surmortalité a alerté les autorités qui ont ouvert une enquête administrative. Le rapport des services du médecin cantonal Giorgio Merlani est un document exceptionnel. Il permet de suivre à la trace la diffusion du virus dans l’établissement. Jour après jour. Étage par étage, chambre par chambre. L’infection se développe suivant une logique implacable.

Le coronavirus a fait plus de 10 000 morts en Suisse. Une tragédie nationale. La moitié des victimes vivaient dans des maisons de retraite. Ce rapport officiel tessinois montre pour la première fois ce qui se passe à l’intérieur d’un EMS frappé par la pandémie. L’analyse souligne certains dysfonctionnements. Elle met en évidence le désarroi du personnel qui se bat contre un ennemi invisible. Chronologie d’un enfer.

25 février ·Alvara vivait au Circolo del Ticino. Sa fille Martha l’avait rejointe, fin février 2020, pour fêter le Rabadan. Le carnaval de Bellinzone attire en ville, cette année-là, 160 000 fêtards. Un record, malgré le coronavirus, titre la presse. «Nous n’étions pas inquiètes. Le Covid-19 n’existait pas encore au Tessin», nous raconte Martha.

Et pourtant, le virus rôde, invisible. L’Italie du Nord est déjà en zone rouge. Le 25 février, jour de clôture de la manifestation, le premier patient positif en Suisse est détecté à Lugano. Le lendemain, les autorités interdisent la suite des festivités dans le canton. Alvara a été infectée quelques semaines plus tard dans son EMS. Elle est morte le 7 avril, à l’âge de 88 ans.

La fin du Rabadan marque le début du cauchemar pour la maison du quartier de Sementina. Dès la découverte du premier cas positif en Suisse, la direction traque le virus. Le personnel est invité à signaler le moindre symptôme. Toux, fièvre, fatigue. La première alerte sonne le 6 mars. Le suspect, un retraité du 5e étage, est immédiatement isolé. Soulagement, toutefois, son test est négatif. D’autres fausses alarmes Covid vont rythmer l’actualité des premiers jours.

5 mars ·L’établissement ne peut pas pratiquer le dépistage systématique de la maladie. La Suisse, dans son ensemble, manque de matériel pour cela. Le rapport du médecin cantonal rappelle un autre aspect lié au traçage. La direction du Circolo ne possède pas de «cahier de bord» structuré et logique sur les cas positifs et les décès dans la maison. Ce qui l’empêche de faire un suivi efficace de l’évolution de la pandémie. Pire, «entre le 1er janvier et le 22 avril 2020, il manque le nom de deux défunts», écrivent les enquêteurs. La direction a déjà contesté ce reproche et dit avoir retrouvé les données manquantes.

Le 5 mars, la Suisse enregistre son premier décès du Covid. C’est une Vaudoise qui souffrait de maladie chronique. Elle avait 74 ans. Un membre du personnel de la Sementina raconte que cette nouvelle a jeté un froid dans l’équipe. «La tension est montée d’un cran, pour ne jamais retomber.» Il se souvient de la grande confusion qui règne alors dans l’établissement. La maladie est méconnue. Les directives du canton sont parfois mal comprises. La direction tâtonne. «Mais nous étions prêts. Nous avions du matériel de protection en suffisance et les connaissances de base pour encaisser le premier choc.»

Le graphique suivant se base sur le rapport du Médecin cantonal tessinois. Ce dernier se base sur les chiffres livrés par la direction de l'EMS Il Circolo del Ticino qui sont parfois différents. Le graphique exprime cette approximation.
5 marsRésidents EMS infectés

11 mars ·La chape de plomb s’abat sur les EMS tessinois, le 9 mars. Le médecin cantonal répond à la dégradation sanitaire en publiant une directive sévère. Il ordonne l’interdiction des visites dans les EMS du canton. Tout contact avec l’extérieur, quel qu’il soit, doit être contrôlé. Dans les murs aussi, l’étau se resserre. Les activités de socialisation sont bannies jusqu’à nouvel ordre. Les pensionnaires doivent être isolés dans leur quartier. Le but est de limiter les rencontres.

Cette interdiction de visite n’aurait pas été respectée dans le Circolo del Ticino, selon plusieurs témoins. Valeria en est certaine. Elle affirme avoir rencontré son mari deux jours après le décret. «Le 11 mars, la porte principale du bâtiment était ouverte, nous a-t-elle affirmé. Personne ne m’a interdit l’accès. J’ai rejoint Giorgio dans sa chambre. C’est la dernière fois que je l’ai vu vivant. Le lendemain l’EMS a fermé.»

Le rapport évoque ces soupçons. Ses auteurs entendent la version de Valeria pour la première fois dans l’émission Modem de la RSI. Des investigations sont menées. Un tiers corrobore ces propos. La direction est aussi entendue. Les registres d’accès du bâtiment sont consultés: ils indiquent que des peintres sont entrés dans la maison, le 16 et 17 avril, pour des travaux de rénovation. Tous ces éléments, cependant, ne permettent pas «d’attester une violation du droit de visite», écrivent les enquêteurs. Valeria, elle, maintient sa position.

16 mars ·L’équipe du médecin cantonal a reconstitué l’historique des contaminations dans la maison, sur la base des données fournies par la direction. Le «cas positif 1» est une employée de la salle à manger qui se trouve au rez-de-chaussée. Elle est testée positive le 16 mars. Mais cette infectée est en congé maladie depuis 11 jours. Les enquêteurs estiment donc que ce n’est pas elle qui introduit le virus dans le Circolo.

Les recherches désignent, sur la base des chiffres fournis par la direction, un deuxième employé. Cet assistant de soins se sent mal le 17 mars et s’absente de son travail. Le lendemain, il apprend qu’il est malade du Covid-19. Le rapport détaille, sans pouvoir le dater précisément, que ce «cas positif 2» aurait infecté un membre de l’équipe médicale. Ce dernier qui est symptomatique une semaine plus tard aurait à son tour contaminé un collègue. Le «cas 4» est responsable de secteur dans l’EMS.

Le constat semble clair, selon l’analyse. Ce sont ces membres du personnel qui, à leur insu, ont infecté les pensionnaires. Cette transmission du virus se serait produite, le 16 mars, lors de «l’administration de soins» dans une salle commune. Les assistants positifs qui s’en occupent sont alors asymptomatiques. Mais ils sont déjà en phase d’incubation et donc contagieux. Trois retraités attrapent le Covid. L’un loge au troisième et les deux autres au premier.

Ce traçage des contacts indique, en outre, quelle catégorie professionnelle est la plus sensible au virus. Le Circolo emploie 120 collaborateurs. Les infirmiers et les employés domestiques sont épargnés. Ce sont les assistants de soins, souvent en contact avec les patients, qui sont les plus touchés. L’un d’entre eux pourrait d’ailleurs avoir probablement diffusé le coronavirus dans tout le bâtiment. Le 24 mars, il tombe malade. Les jours précédents, il avait assuré les rondes de nuit sur les cinq étages. Chaque niveau héberge 16 personnes.

18 mars ·Ce jour-là, le Tessin annonce 4 décès supplémentaires. Le bilan cantonal monte à 14 victimes de la pandémie. La maison du quartier de Sementina, elle, y échappe encore. Pas un seul cas positif parmi les pensionnaires. Pas un seul mort, non plus. Le 18 mars, les portes restent fermées aux visiteurs. Pour noyer l’ennui, la direction organise des animations de groupe. À 9 h 30, «L’île aux lecteurs» rassemble neuf aînés. À 10 h 30, toujours selon le bilan d’activités, se tient l’atelier «Boutique du passe-temps». À 14 h 45, 13 pensionnaires rejoignent le rendez-vous «Conversations et café» pour un échange convivial.

Les auteurs du rapport s’étonnent de ce programme. Le 9 mars, une directive du médecin cantonal avait pourtant interdit les animations collectives dans les EMS. Le Circolo del Ticino avait obéi dans un premier temps, mais pour les reprendre depuis le 16 mars jusqu’au 8 avril. Apparemment sans autorisation. Cette continuation, écrivent les experts, est une violation de la directive cantonale.

La direction du Circolo s’est déjà prononcée sur ce reproche. Elle explique que cette «disposition» a été prise «en considération de la privation affective, à laquelle les résidents étaient exposés et du relatif état d’isolement». Elle ajoute que cette offre de loisirs n’a pas été faite dans tous les secteurs, «seulement dans les étages où le virus n’avait pas encore été détecté. Le premier étage, par exemple, en avait été exempté dès le 22 mars, après la découverte des premiers cas Covid».

29 Participants aux activités récréatives en groupe

21 mars ·Deux résidents, qui auraient été contaminés par le personnel, le 16 mars, sont testés et déclarés positifs 5 jours plus tard. Ils habitent au premier étage, mais pas dans la même chambre. Ces malades fréquentent un pensionnaire du troisième niveau qui se révèle positif fin mars. Les enquêteurs écrivent que ce trio «représente probablement les premiers cas de contagion de Covid-19 parmi les résidents à l’intérieur de la maison.»

Les experts découvrent que ces trois résidents contagieux ont mangé régulièrement à la même table du restaurant. Ils ont peut-être infecté d’autres retraités durant les repas. La salle qui se trouve au rez-de-chaussée peut accueillir 26 personnes. Les distances sociales sont difficiles à respecter. Les lieux sont définitivement fermés le 22 mars, après la découverte de foyers épidémiques dans tout le bâtiment. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps? Pour éviter que les pensionnaires souffrent «d’une privation affective» et «d’isolement» explique à nouveau la direction. Qui répète avoir respecté les directives cantonales.

23 mars ·Une infirmière qui travaille au niveau 5 se sent mal. Elle n’est pas immédiatement testée. D’autres malaises se déclarent dans tout le bâtiment. Plusieurs sont positifs. Le virus se diffuse désormais à tous les étages. Le nombre de contaminés ne cesse de croître. Le 31 mars, 16 personnes sont infectées. À la fin de la première vague, l’EMS en comptabilise 66, dont 44 chez les pensionnaires et 22 dans le personnel.

L’établissement vit au rythme de la maladie. Les consignes de sécurité sanitaire sont renforcées. «Nous étions inquiets, pas paniqués, commente un employé. Nous savions que les patients que nous cherchions à protéger étaient désormais directement menacés. Mais il n’y avait pas encore de morts, il y avait de l’espoir.»

Les déplacements sont difficilement maîtrisables. L’immeuble est vaste. Il y a plusieurs niveaux, des recoins. Le personnel est toujours en mouvement. Tout comme les résidents. Ces derniers peuvent aller où ils veulent dans l’enceinte. Il est impossible de les enfermer à clé dans leur chambre. «Ce n’est pas éthique», explique un membre du personnel. Certains pensionnaires ne comprendraient pas. Beaucoup n’ont plus leur tête, mais restent physiquement libres. Ils se regroupent dans les couloirs, se saluent dans les chambres. Autant d’occasions pour le virus de circuler.

26 mars ·Les experts ne sont pas parvenus à dater le premier décès. En cause, certainement, cette absence de «tableau de bord» qui a déjà été mentionnée. Le traçage des contacts hésite ainsi entre la date du 25 et du 26 mars. Qu’importe. Les experts connaissent, en revanche, l’identité de la première victime. Il s’agit d’une dame qui souffre de la maladie d’Alzheimer. Elle n’est pas testée, mais meurt après le début d’une forte fièvre. Un membre du personnel témoigne: “Cela a été une étape difficile à vivre. Nous sommes liés à nos pensionnaires. Chaque décès est vécu comme un échec.”

Un flou règne sur le nombre exact de morts. Officiellement, selon la cité de Bellinzone, Il Circolo del Ticino enregistre 21 décès dus au Covid durant la première vague. D’autres chiffres circulent. Le rapport évoque des décès supplémentaires. Mais le test n’a pas toujours été fait, ce qui rend le lien avec le virus difficile. De son côté, l’élu UDC Tuto Rossi évoque le chiffre de 27 dans un texte qu’il a déposé au Conseil communal.

La direction de l’établissement tente de contenir la vague meurtrière. Le 25 mars, elle crée un secteur réservé aux cas Covid. Du personnel lui est attribué. Là encore, le rapport du médecin cantonal souligne des erreurs. Ce secteur fait cohabiter les malades avec les sains. En outre, les employés attitrés à l’espace Covid devraient travailler exclusivement dans ce secteur. Au lieu de cela, certains poursuivent leur tour, la nuit, ailleurs dans la maison. La direction a déjà répondu qu’elle a respecté les consignes du canton qui ne demandaient pas cette mise à l’écart des cas positifs.

10 Participants aux activités récréatives en groupe

3 avril ·Martha ignore, sur le moment, le drame qui se joue dans la maison Sementina. Elle ne peut plus voir sa mère Alvara depuis le confinement du Circolo. Les contacts sont devenus rares, seulement par téléphone. Début avril, elle n’a plus aucune nouvelle. Sa maman ne répond plus et la direction est discrète.

La parente insiste. Le 3 avril, elle parvient à avoir au bout du fil la responsable des soins de l’EMS. «Elle m’a dit que maman avait une forte fièvre, qu’elle pouvait avoir le coronavirus. J’étais surprise. Le virus, dans la maison? Comment était-ce possible, l’établissement était fermé depuis près d’un mois.» Martha obtient un dernier entretien par vidéoconférence avec Alvara. Cette dernière est bouffie; elle appelle à l’aide. «Elle est décédée quelques heures après», ajoute Martha.

Plusieurs proches interrogés disent avoir aussi subi ce manque de communication durant la première vague. Le rapport évoque ce point sensible. Il explique comment la direction a tenté de maintenir le lien, malgré tout. Des vidéoconférences sont organisées. La responsable des soins utilise son téléphone portable personnel quand c’est nécessaire. Des membres de la protection civile collaborent à des séances téléphoniques. Ces efforts louables n’ont jamais permis de remplacer les contacts directs, déplorent les familles.

1 Participants aux activités récréatives en groupe

Fin avril ·Il Circolo del Ticino est une des quatre maisons de retraite de Bellinzone. Elles sont toutes dirigées par le même directeur qui est employé par la commune. C’est le canton, toutefois, qui édicte les règles sanitaires que le médecin cantonal doit faire respecter. La situation de la Sementina a rapidement inquiété les autorités qui ont tenté de réagir. Anna de Benedetti, la cheffe du service de qualité et de vigilance du médecin cantonal, prend contact avec la direction pour comprendre l’état de la situation. Le 5 avril, la responsable d’un autre EMS de Bellinzone est appelée à l’aide.

Ces réactions ne servent à rien. La situation se dégrade toujours plus. Le service du médecin cantonal s’en inquiète, pose des questions. Les réponses qu’il reçoit ne le rassurent pas. Le soir du 17 avril, il transmet une série de recommandations au Circolo. Le lendemain, il envoie sur place une infirmière consultante pour un audit. Les premiers dysfonctionnements sont déterminés. Les mesures urgentes qui sont prises permettent de rétablir la situation. Le rapport atteste que, depuis le 10 mai, il n’y a plus aucun nouveau cas positif.

Epilogue ·L’enquête administrative commence fin avril. Elle va durer pendant des mois. Le médecin cantonal demande des comptes aux responsables du Circolo qui se défendent. Un premier rapport est livré le 24 juillet 2020. Une synthèse complémentaire est rendue le 22 octobre. Dix critiques sont adressées à la direction de l’établissement. Certaines sont plus développées que d’autres. Sur la question de la reprise des activités de socialisation, le reproche est lourd. Le médecin cantonal relève une défaillance intentionnelle.

La direction du Circolo del Ticino n’a pas voulu s’exprimer en raison d’une enquête pénale en cours. Tout comme le médecin cantonal Giorgio Merlani (lire encadré). La Municipalité de Bellinzone a déjà dit que les responsables de l’établissement contestent les conclusions du rapport. Contacté, l'exécutif ajoute qu’il ne se considère pas comme compétent dans le domaine. C’est le canton qui édicte les règles sanitaires et les fait respecter. La commune précise que ce document officiel reste ouvert, «préliminaire». Il estime que le médecin cantonal doit encore prendre en compte les déterminations de l’EMS et en discuter.

L’exécutif souligne que le Circolo del Ticino est le seul foyer de Bellinzone à avoir subi une forte mortalité. Les trois autres n’ont pas connu de décès. Selon la Municipalité, la maison du quartier de la Sementina a enregistré 21 décès, sur un total de 150 dans les EMS tessinois au printemps. Puis plus aucun, alors que ce chiffre est monté à plus de 230 dans le canton durant la deuxième vague. "L'augmentation spectaculaire du nombre total de décès entre la première et la deuxième vague pose, voire rend incontournable, la question de savoir quels sont les mécanismes, respectivement les causes réelles des taux de mortalité enregistrés", nous écrit la ville.

Valeria n’a pas de désir de vengeance. Elle a reconstitué après coup le dernier jour de Giorgio. Le 28 mars, il est souffrant. Le matin, il parvient à avaler une demi-cuillerée de café au lait. Pas davantage. À 14 h, le personnel médical s’inquiète de son état de santé, mais se rend compte qu’il ne peut plus rien faire. Le décès est enregistré à 21 h 30. L’épouse estime que, ce jour-là, la direction de l’EMS aurait dû la tenir informée de l’état de santé de Giorgio. «La direction a failli à son devoir. Mon mari était toute ma vie. C’est une grande tristesse. Il n’y a rien à ajouter.»

18 juin ·«Le 18 juin 2020, Nous avons déposé une plainte pénale pour homicide par négligence et mise en danger d’autrui contre quatre personnes de la direction en charge de la maison de retraite Il Circolo del Ticino à Bellinzone», déclare l’avocate Sandra Xavier. Ses clients demandent que «justice soit rendue». Leur père est décédé du Covid-19 dans cet EMS, début avril 2020. Il avait des problèmes de déambulation, mais il se portait bien. «Il aurait pu vivre encore longtemps.»

Sandra Xavier, de l’étude Ferrari Partner à Lugano, explique que ses clients ne comprennent pas pourquoi leur père n’a pas été confiné dans sa chambre durant la pandémie. Ils se demandent pourquoi les activités de loisirs ont perduré dans l’EMS, alors qu’elles étaient interdites dans le canton. Selon eux, il y a eu beaucoup d’autres dysfonctionnements.

L’affaire est complexe, mais la gravité des faits pose des questions importantes et seule la justice peut y répondre, selon l’avocate. Une des grandes difficultés est de déterminer l’intention et le lien de causalité. La direction avait-elle conscience que certaines de ses décisions pouvaient avoir des conséquences mortelles? Autre problème juridique: des éléments de preuve manquent. Il n’y a pas eu d’autopsie légale dans ce dossier.

L’enquête a avancé, malgré tout. L’avocate explique que le Ministère public tessinois a attendu les observations du médecin cantonal sur cette affaire avant de se prononcer. Le 13 octobre 2020, la procureure Pamela Pedretti a annoncé publiquement l’ouverture d’une enquête pénale. Trois personnes ont été entendues. C’est déjà une grande victoire pour les clients de Sandra Xavier. “Nous ne pouvions pas exclure un classement du dossier, ce qui n’aurait pas été compris par la famille du défunt.” Le parquet, enfin, n’a pas voulu répondre à nos questions.